En revenant de tous ces voyages européens je me suis rendue compte qu’il me restait une certaine soif inassouvie, une urgence d’aller monter beaucoup de vraies montagnes, de me mettre dans un peu de pétrin et de surfer sur un peu d’extrême spontanéité. C’est alors que j’ai décidé d’aller dans l’ouest Canadien en solo, et étant donné que l’été tirait déjà à sa fin il fallait que je parte dans les jours qui venaient. J’ai regardé mes options de transport, mais l’avion, le covoiturage, le train et l’autobus me semblaient beaucoup trop peu flexibles et beaucoup trop chers. J’ai donc décidé de louer une auto et de trouver quelques inconnus sur kijiji pour partager les coûts et la conduite avec moi. J’avais quatre jours pour trouver ma dream team Montréal-Vancouver, et après avoir reçu une dizaine de messages, j’ai sélectionné trois jeunes motivés dont les missives étaient enthousiastes et pleines d’ouverture à toute éventualité. Je les ai rencontrés pour la première fois sur les bancs de mon auto alors qu’on mettait les voiles pour un voyage de 4,600 km ensemble. J’avais donc deux étudiants en Cognitive Sciences du UBC qui sortaient fraichement de leur weekend de rêve à Osheaga, et qui rentraient à la maison, et une fille suédoise en vacances travail au Canada qui venait de visiter Montréal et qui allait chercher du travail au BC. Tous les trois étaient immédiatement merveilleux, pleins de bonne humeur et d’envie d’explorer.
Nous avons vite fait d’arriver en Ontario, qui nous a entouré pendant plus de deux jours. C’est même dans un Tim Hortons ontarien que nous nous sommes vraiment vu les visages pour la première fois, assis autour d’une boite de timbits posée sur la table. Nous avons entendu plein d’histoires sur les routes en forêt monotones et interminables de la province, et nous étions surpris de découvrir des perles magnifiques comme cette halte routière du lac Ontario.
De l’eau claire, un horizon sans fin, du soleil, une mangue bien juteuse, nous avons vite fait de nous jeter tous dans cette fraiche merveille
En parlant à une dame dans le lac, nous avons découvert qu’il y avait tout près de là d’anciens hieroglyphes préhistoriques, Stina et Norman nous montrent comment avoir un air radieux.
De l’eau bleue pour notre exploration prolongée des environs
Je ne sais pas si c’est par politesse ou par sincère curiosité, mais mes covoitureurs acceptaient volontiers mes choix aléatoires de destinations basées sur mon analyse de la géographie. Je m’étais dit qu’une route qui finissait sur un cap rocheux devait avoir une belle vue, alors nous avons conduit pendant une bonne demi heure sur une route de terre dans la foret pour arriver là, mais je pense que ça en valait bien la chandelle pour cette merveilleuse vue du lac et Thunder Bay juste en face.
C’est là que nous apprenons que Colleen avait le vertige, et nous l’encourageons affectueusement à apprivoiser ses peurs sur ce belvédère. Bravo!
Nous faisons une petite randonnée dans l’inconnu non loin de là, qui finit par nous mener environ nulle part, mais qui était tout de même sympathique malgré les moustiques.
Le point culminant de la randonnée est une mare de boue dans un genre de mare malarieuse, mais on est bien contents quand même, sentant que nous faisons de la belle limonade avec les citrons de l’Ontario
magnifique rivière très moderne
Le reste de l’Ontario après le lac fut très long. J’ai même acheté un t-shirt dans la dernière ville de la province, près de la frontière avec le Manitoba, pour commémorer mon passage initiatique par probablement l’endroit le moins spectaculaire du pays. C’est un t-shirt très doux. Nous avons apparemment passé par le Manitoba mais personne d’entre nous ne peut vraiment s’exprimer sur cette province, ou affirmer avec totale certitude qu’elle existe vraiment. Je peux dire qu’il y a du jerky pas cher dans les stations d’essence, mais pour le reste, c’était un trajet remarquablement paisible axé sur nos conversations , ou aucun paysage ou évènement n’a arrêté notre regard vers l’extérieur. Aussitôt sortis du Manitoba, après avoir posé notre tente quelque part sur le bord d’un chemin en gravier, nous sommes arrivés dans les prairies. Winnipeg, Regina se succèdent rapidement, et à Regina nous faisons même une tentative pour aller au carnaval (une alternative Canadienne aux State Fair traditionnelles aux États Unis) en mangeant préalablement un petit lunch de canne de bines. Nous rebroussons chemin à la guérite en voyant le prix des billets, mais ça nous a au moins donné l’occasion de changer de vêtements.
La Saskatchewan nous enchante tous avec ses prairies gigantesques, le ciel qui convoie les nuages à toute allure d’un horizon à l’autre, et les limites de vitesse de 140 qui nous font sentir que nous sommes libres comme l’air sur la grand-route, droite comme une flèche. Je conduis sans les mains!
Et puis, sans qu’on eût le temps de crier “lapin!”, c’est à dire quatre jours plus tard, nous arrivions dans les Rocheuses. Notre ardeur a été ralentie par une heure de trafic à Calgary, mais nous sommes enfin arrivés dans les gigantesques montagnes en faisant jouer du John Denver très fort dans l’auto. L’arrivée était spectaculaire et ensoleillée, et très émouvante pour Colleen qui rentrait enfin à la maison après des semaines dans nos vallons de l’Est.
Nous arrivons à Banff trop tard pour faire des grosses randonnées, mais nous trouvons quand même une petite balade d’une couple d’heures que nous avalons à grands pas. Cette vue incroyable nous attend, déserte
Je suis aux anges. Je me sens replacée dans le creux de mon élément, je suis exactement là ou je dois être.
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en descendent, nous passons par ce trou d’eau qu’on avait étrangement pas remarqué à l’aller
Je fais mes simagrées traditionnelles de peur maternelle
un jeune homme vient m’y rejoindre
en sortant du sentier, la route n’est que du rêve
et nous voyons même un ours, qui a crée une commotion sur la route avec des autos stationnées dans tous les sens en train de reculer ou avancer pour suivre le processus de reniflement de bleuets de l’animal. Notre représentante suédoise est très satisfaite de son séjour au Canada car l’ours était numéro un sur sa to-do list.
Nous faisons un petit stop obligatoire au lac Louise dont les couleurs sont déjà éteintes
Colleen se rappelle soudainement que son oncle habite a Revelstoke non loin de là, et nous passons la nuit chez eux. Je propose à mes acolytes de faire une randonnée de deux jours dans les rocheuses pour profiter du paysage et, à ma plus grande surprise, tout le monde accepte. Nous choisissons sur Google une valeur sûre acclamée par toutes les listes de meilleures randonnées, la Iceline Trail dans le Yoho National Park. Apparemment, Yoho est un mot cri pour dire Wow! Yo!, ce qui était vraiment dans nos cordes. Nous nous lançons dans l’aventure avec un itinéraire assez ambitieux et un équipement relativement précaire, mais la motivation y était, tel qu’illustré par cette photo de groupe.
Le temps était un peu maussade, mais la vue n’en était pas moins spectaculaire. Nous passions sous les glaciers en implorant les dieux de nous améliorer la météo et en se racontant des knock knock jokes.
Wow
J’avais beaucoup de difficulté à observer le paysage à cause de la multitude de magnifiques roches par terre, on marchait sur un champ de pierres précieuses par leurs formes et couleurs incroyables
Rocky mountain high
Nous avons beaucoup d’aplomb après toute cette grimpe
magnifique
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ce gâteau rocheux a retenu longtemps notre attention
et de l’autre côté du col nous attendaient des montagnes striées
et des lacs complètement rectangulaires
Autre miracle: roche triangulaire ayant enfanté d’un bébé roche triangulaire
Plus de stries
et des plantes fort coquettes à la chevelure soyeuse
à notre grande fierté, nous sommes arrivés au camping bien avant la tombée du jour, et nous nous sommes installés tranquillement dans un camping près de la Stanley Mitchell Hut, ou nous avions pris le thé.
Incroyablement, Stina a amené de Suède ce gigantesque et très géometrique sac de poubelle que l’on a tôt fait de surnommer Jacques et qui a passé la soirée avec nous.
nous avons du nous en séparer éventuellement car il devait protéger nos barres tendres des ours environnant. Nous avons accroché Jacques à cet étrange appareil habités d’une assez grande confusion.
à la suite de quoi nous avons passé un bon cinq heures dans cette jolie tente à jouer à toutes sortes de versions alternatives de UNO et à composer des chansons pour ukulélé, principalement sur le thème du Manitoba.
une soirée parfaite avec mes nouveaux potes que j’ai l’impression d’avoir toujours connus
le lendemain nous nous levons tôt et je réalise la mort de mon iPhone ou se trouvent mes cartes topos pour la randonnée à tracé nébuleux que nous nous apprêtions à faire. J’ai une batterie de secours mais j’ai oublié le câble pour la connecter au iPhone; heureusement, mon karma incroyable m’a aidé à trouver un gars qui travaillait au Apple store dans le refuge environnant, qui avait des câbles à iPhone plein les poches et qui m’en a juste donné un. Nous nous sommes donc lancés dans une région peu visitée de Yoho, montant sur l’arête de la Whaleback Mountain.
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d’autres roches incroyables tapissent le sol
du col, on voit une nouvelle vue pleine de lacs glaciaires
merveilleux
Nous avions ensuite devant nous un bon deux heures sur cette arête coupée au couteau, avec des vues grandioses à 360 degrés qui me faisaient marcher en vrille en criant un peu tout le temps
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Le sol tout en lamelles
de belles couleurs
glaciers
textures
Colleen brave son vertige avec une attitude de championne et des vieux runnings pas de semelle.
Stries
Nous avons, comme on nous en a bien averti partout, complètement égaré le sentier qui devait descendre cette falaise ou nous étions, et on n’est toujours pas sûrs qu’il existe vraiment. Nous avons descendu ce 700 mètres presque vertical en sautant d’une racine à l’autre, d’une branche à l’autre, d’un trou à l’autre, assoiffés, endoloris et affamés. Je ne m’attendais pas à autant de bonne attitude de la part de mes coéquipiers, mais tout le monde a retrouvé le sentier dans une disposition fort favorable et enjouée. Nous avons enfin trouvé une source d’eau après avoir siroté que des gouttes depuis plus de trois heures.
Après cette extraordinaire expérience, c’était déjà le temps de se séparer. Nous avons décidé de déposer Colleen chez ses parents à Kamloops au lieu de la ramener dans son appartement de Vancouver, et nous avons tous passé notre dernière nuit ensemble dans sa maison. C’était très émouvant d’amener notre nouvelle amie à ses sources et de connaître ses parents et l’endroit ou elle a grandi autour d’un café au déjeuner. C’était la parfaite finale pleine d’amour pour ce périple pour lequel on a tous pris une chance.
Je me retrouvais donc seule avec aucun plan pour ou dormir le soir même. Tout était cher à Vancouver, les connaissances que j’avais la bas n’étaient pas disponible, et j’ai donc décider de filer droit pour l’île de Vancouver pour accomplir mon rêve de surfer à Tofino. Après avoir passé une petite nuit à Nanaimo, ma première en solitaire depuis le début du voyage, j’ai conduit les trois heures jusqu’à Tofino en méditant sur la semaine qui venait de m’arriver. Une fois à Tofino, j’ai assez vite fait de me trouver une planche de surf, un cours de surf et un wetsuit usagé. Comme Tofino était complètement booké depuis des semaines, et qu’il n’était pas question de camper dans cet endroit rempli de gens, de cafés et de surf shops, j’ai trouvé une place sur l’ile amérindienne de Vargas, a 20 minutes de bateau de Tofino. Mon transfert quotidien pour aller à la maison avait l’air de ça:
Il n’y a pas de mots pour décrire mon bonheur à cet endroit, ou tous les moments explosaient de perfection insoutenable. La paix d’une île sans routes, le feu de camp quotidien sur la plage avec des gens superbes avec qui j’ai formé des connections fortes et immédiates, des nuits blanches sous les Perseides, des fous rires dans le jacuzzi extérieur, les repas “en famille” à la fin de nos journées, la forêt enchanteresse d’arbres majestueux, la pêche au saumon avec Scott l’ontarien sur son kayak électrique, ou on partageait beef jerky et scotch en lançant nos lignes et en parlant de la vie, le plancton lumineux qui nous émerveillait à toutes les nuits, la lune jaune et immense qui déposait son demi-croissant taillé au couteau dans l’océan en s’accompagnant d’une traine aquatique scintillante, les couchers de soleil doucement bercés par de petites vagues, les chansons qu’on se chantait, tout était fait d’amour et de merveilles.
même la forêt m’a enchantée complètement
j’ai couru seule, nu pieds, vers le haut de cette montagne, dans le sol humide sous ces pins gigantesques
la vue d’en haut, scotch obligatoire
…
ahhhh….
J’y ai dormi si peu, mais si bien, incluant des siestes du paradis dans mon hamac au bord de la plage, mais le temps pressait et, à contrecoeur, j’ai quitté l’île le jour de ma fête après avoir surfé les vagues légendaires de Tofino par temps et conditions de rêve et passé quatre soirées inoubliables à Vargas. J’ai ramené deux de mes nouveaux amis à Vancouver, et nous avons passé une excellente journée à découvrir les trous d’eau et les burgers secrets de l’île de Vancouver, que l’un d’eux connaissait comme le fond de sa poche.
Ma destination était Squamish, et j’ai décidé de camper non loin de là. Je suis arrivée un peu avant minuit et découvert que le camping était complètement plein. J’ai décidé de me dégourdir un peu les jambes en sortant de mon auto quelques minutes avant de reprendre la route, et voilà que… la porte se ferme derrière moi avec mes clés et mes vêtements chauds juste de l’autre côté de la vitre, à l’intérieur. J’ai donc passé la nuit de mon anniversaire à rôder autour du camping congelée, à chercher des outils qui m’aideraient à ouvrir cette auto à la lumière de mon iPhone. Des dizaines de bâtons plus tard et après une tentative infructueuse de fermer l’oeil sur une chaise, j’ai emballé ma tête dans une serviette que j’ai empruntée sur une corde à linge et je me suis assise auprès d’un petit tas de cendres fumant qu’un campeur a laissé s’éteindre naturellement pour attendre le lever du jour. J’ai réussi à appuyer sur le bouton qui ouvrait le coffre à travers une fente que j’ai forcée dans la porte, à l’aide d’un assemblage de bâton pour guimauves et d’un bâton courbé trouvé pendant ma balade nocturne. À partir de là, j’ai façonné un machin qui a pu baisser les sièges à l’aide d’une ficelle et de pôles de tente que j’ai glissé entre les sièges.
Zéro heures de sommeil plus tard, mon partenaire d’escalade trouvé sur Facebook me rejoignait au pied des parois pour grimper la légendaire roche. Nous avons fait quelques voies, et j’ai passé une longue nuit ensuite à dormir comme une roche dans ma belle petite tente solo. Je ne pensais pas me trouver de copains pour grimper le lendemain matin, m’ayant levée beaucoup trop tard, mais trente secondes plus tard je filais vers les parois avec un jeune et fringant Montréalais d’origine Roumaine avec qui j’ai partagé de délicieuses histoires d’immigrants. Non seulement il était extrêmement sympathique, mais il grimpait comme une gazelle, m’inspirant à mes plus grands exploits.
nous avons passé deux jours à grimper ensemble, et une soirée avec deux filles incroyables championnes de highlining et guides de montagnes en Alaska. On a ri infiniment, tout le temps.
je n’y ai passé que trois jours, mais je reviendrai à cette roche du paradis avec vue sur mer
Vlad!
Après Squamish, j’ai passé une autre soirée parfaite à Vancouver avec un ami que j’ai rencontré sur l’ile de Vargas, mais je n’ai vu la ville que la nuit, juste un tout petit peu. Je l’ai quittée promptement le lendemain matin en direction des États Unis, dont le récit suivra. Je venais de passer deux semaines de bonheur ininterrompu lors de mon premier voyage solo. Les découvertes que j’ai faites n’ont pas de prix. J’ai découvert à quel point être seule m’exposait à tout d’une façon inégalée, et j’absorbais comme jamais tout ce qui m’entourait et tous les gens que je rencontrais. Je n’ai jamais voyagé avec autant d’intensité, d’inconnu, de spontanéité, d’émerveillement. Je savais que j’allais être seule pour la suite, mais j’étais prête à goûter à ça après deux semaines de tourbillon humain.
Next: le retour par l’Interstate 26.