3700 km, Hanoi

Après dix jours de déluges quotidiens à attendre le soleil à Halong et à Hanoi, nous avons finalement trouvé une fenêtre de beau temps pour se promener en bateau dans le merveilleux paysage de Halong Bay et respirer un peu l’air marin. Par contre, ces deux jours nautiques de plaisir et de luxe ont été une joie bien courte et pour l’instant, en me basant sur les deux semaines que je viens de passer dans ce pays, j’ai juste envie de porter un T-shirt « I hate Vietnam ».

 

Nous avions donc espéré de tenter d’explorer Halong bay par nous-mêmes à partir de Halong City en prenant un traversier local pour une grande île environnante, mais avons au lieu passé deux jours dans un hôtel à regarder les rideaux de pluie par la fenêtre et faire de courtes expéditions pour la recherche de nourriture, souvent infructueuses. Complètement écoeurés, nous avons décidé de prendre le bus jusqu’à Hanoi dans l’espoir d’au moins y trouver de quoi remplir un jour mouillé. Pendant les quatre heures de notre trajet, nous avons été fascinés de voir le conducteur se soumettre volontairement au vacarme de son propre incessant et souvent superflu klaxonnage. En arrivant dans la capitale, passage obligé par le spectaculaire bouchon de circulation faisant usage maximal du tarmac : zéro espace libre. Nous sommes heureux de ne pas être à vélo en observant les pauvres cyclistes locaux faire leur petit chemin. Battus par la pluie, ils sont constamment interpellés par l’effet Doppler d’un camion ou un bus hurlant sauvagement, les couvrant sans frémir d’un mur d’eau brune au passage.

Puis, Hanoi.

 

Nous arrivons au terminus en périphérie de la ville vers 18h ; après nous être installés dans le premier hôtel trouvé, on se dirige le plus vite possible vers une caféteria pour ne pas louper encore une fois le souper. Nous demandons à un des hommes grassouillets en camisole, shorts et gougounes qui fume une cigarette devant une table pleine de bols de nourriture combien est le repas chez lui. 20 000 (1$) pour un. Ah ok donc 40 000 pour deux? Non, 60 000. Sérieux? 20 000 pour un, 60 000 pour deux? Tout un deal! On te donne 40, ok? Non, non, dit il dégoûté, et nous renvoie dans la rue. Eh ben, les gens ici ont le sens des affaires. Ça commence bien!

Buffets à 1$ l’assiette plein d’aliments non-identifiables:

Nous allons à un autre buffet bondé de gens et choisissons quelques trucs qui ne sont pas des pieds de poulet ou autres viandes non-identifiables. Nous mangeons notre pitance sous l’un des ventilateurs. Le lendemain matin, Sigurd découvre sur la même rue le premier magasin de chien chaud de notre voyage : une vision d’horreur. Deux chiens bien dodus et bien dorés, clairement identifiables malgré leur absence de fourrure, sont suspendus sur des crochets devant le proprio qui sert une dame en scooter qui fait ses emplettes quotidiennes. Trois autres attendent d’être servis, bloquant un peu la rue. Je vois juste qu’un des chiens n’a plus sa jambe et que le proprio agite de sa machette. J’entends les coups rapides de son hachage et j’ai un haut le coeur. J’imagine que c’est comme ça qu’on devient végétarien…

une cliente…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il nous faut maintenant faire les 10 derniers kilomètres jusqu’au centre-ville. On croyait que Kunming nous avait enseigné la circulation urbaine agitée, mais là on se retrouve encore une fois dépassés par les évènements. En Chine, le trafic est une rivière qui a une direction générale et il faut se faufiler en fonction de sa vitesse dans cette unique dimension, mais ici les trajectoires s’entremêlent librement en chaque point de l’espace. Les énormes ronds points sont les scènes circulaires d’un ballet de véhicules qui vont dans tous les sens sans jamais se toucher. Impeccable. L’aperçu de notre premier rond point nous coupe un peu le souffle et nous nous arrêtons pour nous recueillir avant notre performance inaugurale. Puis, concentrés au maximum, calculant sans cesse les vitesses, les distances, les trajectoires, les probabilités, nous joignons la danse. Pas mal, notre première fois – nous ne nous sommes pas arrêtés une seule fois pendant l’action et nous sommes surpris d’être vivants. Comme dans un jeu vidéo, les ronds points se compliquent de plus en plus en s’approchant du coeur de la ville, et nous abordons chacun comme une mission. À pied comme à vélo, tout le monde ici connaît les règles d’or : toujours montrer clairement son intention en avançant, même si lentement, dans une direction spécifique. Peu importe l’horreur qu’une cohue de voitures et de motos rugissantes puisse inspirer, la décision d’avancer directement à travers la chaussée est toujours récompensée par le miracle de la mer Rouge : les flots rapides du trafic s’ouvrent et se referment autour de moi sans même qu’on me regarde. Règle deux : ne pas se fâcher. Ce genre de qui vive nous exige évidemment beaucoup de concentration et on a hâte de laisser Hanoi derrière pour retrouver la campagne profonde dans quelques jours.

 

En ville, c’est un joyeux chaos : d’épais rouleaux noirs de fils électriques pèsent sur de pauvres poteaux en bambou, les étroites et sveltes façades des maisons coloniales françaises s’écroulent tranquillement, transformées par leurs maîtres adoptifs au moyen de cages d’oiseaux, de plantes, de drapeaux, de lessive, d’airs climatisés, de bâches, d’affiches, de grilles, de négligence.

une pensée pour Noémie…

mes mains ont envie de posséder des ciseaux….

Ça grouille de dames coiffées de cônes en paille (le chapeau chinois devrait vraiment s’appeler chapeau vietnamien) qui courent en piétinant, anxieuses de déposer à destination les deux paniers de fruits ou de pain qu’elles transportent sur leur épaule de chaque côté d’un long bâton.

Des paniers de baguettes de pain, des woks fumants ou l’huile bouillante cuit les rouleaux printaniers,

des constellations de minuscules tables et chaises qui explosent sur les coins de trottoir ou les jeunes arrivent pour boire une limonade, et les pères de famille, une bière après l’autre.

Des autos, des vélos, des bus, des cyclos. Les hommes qui invitent en tapotant le siège arrière de leur scooter, espérant encaisser un trajet de taxi. Des magasins de tuyaux, des magasins d’engrenages, de soie, de bols laqués, de sacs brodés, de vêtements.

un magasin de souliers efficace

et les filles sont jolies

le cartel des échelles en bambou occupe une rue entière

Des hôtels, des agences de voyage. Des couples isolés de touristes blancs flanqués d’une énorme Nikon, en shorts North Face et en Tevas, le doigt dans leur livre et les yeux cherchant désespérément des indices dans la rue. Des restaurants de pizza bondés de backpackers. D’exquis restos français, indiens, thai, chinois. Des cafés.

Nous sommes allés à la Badiane, un resto français bien chic qui a fait changement de nos soupers à 1$. À notre grande surprise, derrière sont assis deux très jeunes norvégiens en veston cravate qui renvoient d’un air hautain leurs coquilles St-Jacques, causant les excuses personnelles de Mr. le Chef. De notre côté, nous nous amusons comme des petits fous avec toute cette classe, entamons des conversations sur les marchés immobiliers et levons le petit doigt.

Carpaccio de boeuf avec une sauce au wasabi

truc au thon

les deux repas trois services incluant fromages et crèmes brulées et une bouteille de vin blanc coûte deux millions. hihi :)

Avant de quitter la ville, une petite larme patriote pour monsieur Lénine

Sous la surface excitante, nous découvrons très rapidement la plaie de cet endroit : tout le monde ment. On ment comme on respire, dans le blanc des yeux. Ça doit être un jeu national. On nous ment sur les prix de tout : au début on pensait que ça allait être mieux une fois qu’on découvre combien chaque chose coûte en réalité, mais ça ne fait que nous frustrer davantage en voyant à quel point on se fait arnaquer. C’est un prix en entrant et un autre en sortant : on invente toujours des excuses. Ah mais le lait dans ton café n’était pas inclus. Ah mais je pensais que t’avais dit quinze, pas cinq. Les agences de voyages marchandent sans vergogne puis les gens se retrouvent avec des produits complètement différents de ce qu’ils avaient commandés. Par chance j’ai découvert qu’on nous avait complètement changé de programme pour notre croisière dans Ha Long Bay en appelant le boss de la compagnie la veille, juste pour être sûre. Finalement, on a pu changer de compagnie, mais le mensonge continue : on nous avait par exemple dit qu’on allait passer la deuxième journée en kayak à visiter une grande caverne qui avait plusieurs salles et un tunnel. Ne voyant pas de caverne après plusieurs heures, notre groupe a demandé à notre guide de nous y amener, après quoi il a pointé vers une des petites arches très basses dans la montagne : ça, c’est une caverne, non? Ah allez monsieur, trop pas. Il pense quelques secondes avant de déclarer qu’on ne voit pas la caverne parce que la marée est trop haute. Votre caverne est sous l’eau les enfants.

 

Ce matin on voulait prendre l’autobus pour finalement sortir de Hanoi, juste une cinquantaine de kilomètres pour éviter le pire du trafic. Arrivés à la gare routière, on consulte le tableau : les autobus pour Thai Nguyen sont toutes les dix minutes et coutent 40 000 dong : 2$. On sort pour en attraper un et on nous dit 500 000, 25$. On essaie de négocier, mais on nous rit dans la face, nous dit qu’à notre prix on peut bien aller pédaler, et l’autobus part. On en revient pas et on va voir la dame au comptoir des tickets. Elle nous dit qu’elle va nous avertir quand le prochain autobus vient, refuse de nous vendre un billet et refuse de nous dire le prix, même s’il est écrit sur le tableau et sur la porte des autobus. Elle disparaît promptement sans plus revenir. On ressort dans le stationnement, et une gang se forme autour de nous, ils nous suivent et nous empêchent de parler aux conducteurs. On a réussi à baisser à 100 000 dong avec l’un des cars mais notre gentille compagnie nous a suivis, et après un court échange en vietnamien avec le chauffeur c’était 500 000 de nouveau. En plus de nous mettre les bâtons dans les roues, tout le monde touchaient à nos vélos, jouaient avec les freins et les pédales et dans le procéssus quelqu’un m’a même piqué mon compas qui pointe vers la Mecque. Nous passons une heure à essayer de trouver une seule personne honnête et tenter de semer l’Armée de Libération de l’Autobus vers Thai Nguyen qui se gonflait sans cesse de nouvelles recrues pendant que nos autobus arrivaient et partaient. Il sont vraiment sans dessein, même un petit rat de 17 ans nous regarde avec des yeux ecarquillés et gesticule en nous couvrant clairement d’insultes et en se moquant de notre vietnamien. Quand on nomme le prix normal, tout le monde fait semblant d’être insulté et se fout de notre gueule.

 

Finalement, enragés, on a décidé de faire le trajet en vélo, mais on part à 14h. On n’a plus d’eau mais les villageois veulent nous la vendre à des prix norvégiens, sans céder d’une cent. On les déteste tous passionnément. On a super soif, mais on ne leur achète rien. Ils préfèrent ne rien nous vendre plutôt que de nous laisser avoir raison! Il faut qu’on apprenne comment marchander ici. Il nous vente dans la face. Les klaxons continuent. Sigurd a deux crevaisons et doit changer son pneu. Finalement, à la tombée du jour, on arrive à une petite ville 40 km plus loin et on nous refuse dans les quatre hôtels qu’on trouve en passant toutes les rues au peigne fin. Les hôtels sont jolis et clairement vides, mais dès qu’on nous voit on nous dit non. Pourquoi? Non. Il n’y a pas de place. Dans le cinquième hôtel le monsieur parle aussi l’allemand (?), mais pas assez couramment pour s’expliquer, et il propose le russe. Je ne m’attendais pas à sortir ce grand atout du tiroir si tôt, mais c’est déjà la deuxième fois en deux jours que ça m’arrive – apparemment il y a plein de gens qui ont passé des années à travailler à Moscou dans le bon vieux temps, et je suis ravie de me faire demander à la fin si je viens de l’Union Soviétique des Républiques Socialistes (oui monsieur!). Au moins nous savons maintenant que personne ici n’est autorisé à servir les étrangers sauf un seul hôtel au bout de la rue. Nous nous attendons à un palace vraiment luxueux et vraiment très cher : c’est effectivement très cher mais c’est le pire trou à rats! Des câbles qui pendent de partout, des murs noirs de saleté, un tissu vert gazon couvrant la totalité du plancher en linoléum, la peinture du plafond qui pend en gros bouillons, un lit en bois avec un matelas d’une couple de centimètres d’épais, d’ignobles fleurs en plastique pleines de poussière, et l’eau du robinet prend un temps fou à arriver, ayant depuis longtemps oublié le chemin de cet établissement.

Les gens semblent tellement systématiquement méchants et on est tellement malchanceux et à côté de la plaque que j’ai l’impression que c’est un cauchemar dont je n’arrive pas à me réveiller – est ce vraiment la réalité? Tout le monde se fout de notre gueule? Je sens tous les fâcheux incidents de ma vie entière se réveiller soudainement et vouloir prêter main forte à la rage qui monte en moi ici, j’ai envie de hurler après tout le monde, je suis furieuse comme je l’ai rarement été.

En tout cas, on est quand même impressionnés par le talent local pour l’auto-ironie. Honesty, it’s all i’m asking foor… Notre expérience ne pouvait être mieux illustrée.

Pour l’instant donc, je déteste être ici, mais on nous a dit tellement de bien du nord du pays qu’on a hâte de lui donner une chance. En plus, c’est peut être nous le problème, on devrait tout aborder de façon buddhiste et faire la paix avec la frustration. Allez Vietnam. On croit en toi.

One Comment

  1. j’ai malheureusement eu la même impression du vietnam ! bien dommage ce pays va perdre ces touristes si ils prennent les étrangers pour des imbéciles et des vaches à lait …

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