Des mois plus tard… Les livres lus, les cartes achetées, les amis et les interwebs consultés, le matos préparé et testé, les batteries à bloc et les duvets comprimés entre le trail mix, les disaines de tablettes de chocolat et les ziplocs de Mountain House lyophilisé, nous avons enfin pu chatouiller les guichets d’Air Canada et envoyer notre sac à skis sur le rouleau à bagages! La savoureuse famille MSG était enfin en route vers Calgary pour notre tant attendu voyage dans les Rocheuses canadiennes et, par le fait même, ma première aventure à l’ouest de l’Ontario (qui, après deux films, était encore dans mon hublot avec sa noirceur vide et ses milliards de petits lacs gelés).
Afin de rassurer les mamans, je voudrais fournir une preuve de notre préparation soigneuse, incluant la révision de nos techniques de repérage de victimes d’avalanche et de sortie de crevasse dans un environnement dangereux : le parc du Mont Royal par un joli samedi après-midi parmi les chiens saucisses et les hordes de joggeurs.
Vendredi 16:45, directement du travail vers l’aéroport, vers la location de char (encore moi le conducteur officiel, car je suis une fille et qu’il fallait qu’on fasse du pouce à la fin de la traversée), vers Canmore, ou nous avons dormi quelques heures à la charmante Bâzwell cabin (ok, c’est Boswell) du Club Alpin Canadien.
Tout s’est fait dans l’obscurité totale et le matin – surprise – nous nous sommes réveillés au coeur des Rocheuses!!! WOW! La vue de notre petit balcon, et nous étions seuls au chalet tout équipé – la prochaine fois on tentera peut être d’en profiter un peu plus.
merveilleux
oui
Ceci était le dernier lever de soleil coloré que nous avons eu du voyage malheureusement, et ce n’est pas faute de s’être levés tôt. Nous nous sommes immédiatement dirigés vers le début de notre randonnée, qui s’appelle la Wapta Traverse et qui est apparemment LE classique cinq étoiles en matière de longue traversée à ski au pays, s’apparentant à la Haute Route en Europe. Le trajet chevauche la ligne de partage des eaux sur la frontière de la Colombie Britannique et de l’Alberta, en traversant d’énormes étendues glaciaires et montant à presque 3 000 m d’altitude; il est séparé en cinq étapes par quatre beaux refuges haut perchés gérés par le Club Alpin Canadien: Peyto Hut, Bow Hut, Balfour Hut et Scott Duncan Hut. Les distances quotidiennes ne sont pas très longues en théorie (une dizaine de kilomètres par jour et 500-800 mètres d’ascension) mais avec la navigation difficile, la météo arctique et les sacs à dos d’une quinzaine de kilos au départ, on arrivait en masse fatigués à la fin de chaque journée.
Nous voici donc au départ de notre auto, anxieux d’y revenir cinq jours plus tard un peu plus sages et un peu moins innocents.
Il neigeait et il ventait beaucoup, et on ne savait pas encore qu’il allait neiger et venter encore plus dans les jours qui venaient. Nous avons commencé par une spectaculaire traversée du Peyto Lake, ou le soleil a fini par percer et jouer avec les ombres
une petite forêt était la place à crème solaire,
avant d’accrocher nos tuques pour la montée de malade sur une crête de moraine toute glacée et fouettée par le blizzard
Gouy est montré ici en train de combattre vents et marées sur la grosse côte
pendant que je photographie la jolie vue
Première préoccupation: ne pas perdre ses skis
une fois cela fait, nous nous retrouvons au pied du Peyto Glacier, qu’on ne voit pas vraiment à cause du blizzard jusqu’à ce que le soleil se pointe encore le bout du nez temporairement. C’est magnifique, et le moral est pas pire.
surtout quand nous spottons un groupe de cinq devant nous, ce qui veut dire qu’on peut compter sur eux pour tomber dans les éventuelles crevasses à notre place et donc ne pas nous encorder et suivre leur trace. Yé!
Ils sont beaux et jeunes! on les a retrouvés dans le refuge après et on a découvert que la moitié d’eux rêvent de déménager en Norvège! C’était aussi le seul groupe sans guide que nous avons croisés sur la traversée.
encore
encore
Après le glacier, je pogne un curieux coup de barre qui fait battre mon coeur vraiment vite et m’épuise en moins de deux – mon sac me parait tout d’un coup vraiment écrasant, et mes pieds semblent aplatis sous le poids, et les skis semblent ramasser des kilos de neige, et le chocolat n’y fait rien. Sigurd finit par prendre un peu de poids de mon sac et nous arrivons tant bien que mal à la jolie Peyto hut en fin d’après-midi. Le refuge est déjà rempli d’un groupe guidé de douze personnes alors il y a en masse de chaleur et d’eau toute faite pour nous. Une forêt de peaux d’ascension collantes qui sèchent sur le rack central constitue le péril principal du refuge, autrement un havre de paix et de saucisson.
5-7 Cocktail style avec petites bouchées pas de classe
Gouy décompresse, pas mal fatigué aussi
moi je célèbre de ne pas avoir oublié mes ptites bottes en duvet
tout le monde se fascine devant le oldschoolness de l’équipement à Sigurd, qui a des peaux jaunes norvégiennes comme personne a (illustrés ici), des petits skis presque de fond, des bottes en cuir et des fixations trois pin qui n’existent presque plus.
Sigurd!
Nous sommes tout simplement les seuls télémarkeux de la gang, à l’exception d’un monsieur qu’on a trouvé à un autre refuge. Tous les ski bums ont des fat skis avec des fixations Dynafit, mais nous on est des enfants spéciaux qui aimons notre Mont Saint Bruno en ski de fond.
Meet the bécosse, la toilette à laquelle t’as le moins envie d’aller.En fait, cette salle de bains était tellement balayée par les bourrasques arctiques qu’il était impossible de s’y rendre sans skis – la procédure était donc d’insérer ses ptites bottes de duvet dans ses shells de télémark, de chausser les skis, de monter la côte dans un demi-mètre de poudre fraiche et d’espérer qu’on a pas oublié le papier de toilette. Aussi tentant que ce soit, il était en plus très mal vu de jaunir la belle neige blanche drette à côté de la porte à cause du grand achalandage des refuges.
Jour deux: W-H-I-T-E-O-U-T.
Le groupe en caucus avant le départ
Total blanc. Le GPS (c’est à dire le téléphone de Gouy) s’avère d’une extrême utilité
On voit rien rien rien malgré une visibilité de plus de vingt mètres – simplement, il n’y a rien autour de nous sauf de grandes étendues de neige. On distingue parfois des fantômes de montagne, parfois un peu d’horizon. Sinon, c’est l’intérieur de la balle de ping pong, le whiteroom, le rêve, le nulle part total.
On voit tout d’un coup la silhouette dramatique du mont St-Nicholas au loin
et il neige à travers le soleil
Arrivés de l’autre côté du col, nous pouvons voir des choses et parmi ces choses le refuge. Yé!
Nous faisons immédiatement un camp gitan
Puis, comme il est tôt en après midi, nous mangeons un petit saucisson et repartons à la conquête de St-Nicholas, plus célèbre sommet de la Wapta à cause de son arête bien aiguisée et bien pointue. Il continue à neiger en masse
les vacanciers
Nous traversons par le fait même pour la première fois de nos vies au B.C. et faisons hommage à ce fait en illustrant le concept avec de la danse interprétative. B. C.
Gouy s’est illustré en trouvant et contournant la très très grosse crevasse qu’il y avait là
ça parait pas mais on pose devant le sommet de la montagne que nous sommes en train d’escalader
c’est un peu plus clair ici. Notre trajet suit en gros l’arête rocheuse toujours à environ un mètre de la falaise qu’il y a l’autre bord, mais il y a de la place malgré l’aspect pas mal sketchy de l’opération, et dieu merci il y a plein de traces de ceux qui ont passé là avant nous alors la neige est plus ou moins compacte déjà.
Encore un accomplissement du trio MSG!
La descente se fait dans le blizzard – on commence à s’habituer tranquillement à se faire fouetter la face par la neige à 50 kmh
Gouy assure Sigurd dans une petite passe dangereuse
Hi mom!
ouep. bon ben on va espérer retrouver le côté et non l’intérieur de la grosse crevasse de tantôt. Sinon, nous sommes très joyeux de notre ascension.
…
sors les mains des gants – mmmmauuuudit qu’il fait frette – attache arrache plie range et clip et GO!
de retour! c’est Merveilleux!
Nous avons passé la soirée à regarder le groupe de douze se confronter amicalement dans des “manly feats”, comme faire des push ups spéciaux en s’encourageant en gang. La grande gagnante du jeu total était la jeune guide japonaise badass qui a clanché tous les gars au refuge dans le faisage de planche entre deux chaises en faisant virevolter gracieusement un thermos plein autour de soi. Sinon tout le monde écoutait le vent hurler dehors. Yikes.
La vue de ce refuge, une fois le matin arrivé, s’est avérée assez grandiose avec un gros glacier bleu suspendu au dessus du cirque de falaises
Gouy émerge
Nous ne nous y attendions pas, mais nous avons du remonter au col que nous avons gravi la veille près du Mont St-Nick et dire allô à notre amie la crevasse.
Y vente en mautadit de calibure!
Nous essayons de monter le mont Gordon, une assez grosse montagne toute faite de glace et cachée dans un furieux nuage, mais finissons par rebrousser chemin à 300m verticaux du sommet à cause de la météo qui se détériorait rapidement. Le groupe guidé nous a raconté qu’ils ont eu pas mal de misère à gravir ce sommet plein de corniches de neige pouvant s’écrouler à tout moment, de crevasses et de glace par une visibilité complètement nulle. Dommage!
Dès qu’on descend un peu sur le glacier, il fait moins dégueulasse
Gouy qui remet ses peaux dans un pied de poudre
Glorieuses étendues de blanc, et je suis fort émue par la petite trace qui va loin, loin, loin jusqu’à l’horison, témoin de ce qu’un petit humain peut arriver à faire avec un peu de trail mix.
Sigurd trace dans la neige toute vierge et légère, envoyant des mottes de petite fluff à chaque coup de bâton
et là, de l’autre côté du col sur le Vulture Glacier, encore une fois WHITEOUT. Celui-ci était encore plus hallucinant que le premier, car on était censés descendre, et on n’avait absolument aucune notion de vitesse. Le cerveau n’arrivait juste pas à calculer ou poser l’oeil, il n’y avait aucune référence, aucun point de focus, et aucun indice de relief sous nos pieds. Il nous est arrivé d’amorcer des virages en ski juste pour nous rendre compte que nous étions en fait tout à fait immobiles, et juste tomber à la renverse. Incroyablement buzzant et intéressant comme expérience, mais seulement parce que le GPS et le navigateur étoile viking étaient vraiment sur la coche
blanc blanc!
À notre grande surprise, nous sommes arrivés au refuge sans trop de péripéties et même assez tôt, alors nous nous sommes recompensés en mangeant plein de bouffe de secours que nous nous étions apportés. Le petit refuge était vraiment très beau et tellement ensoleillé à l’intérieur qu’on devait porter nos lunettes de soleil à l’intérieur!
Je m’hydrate par tuyau et Gouy s’exerce les membres physiotherapeutiquement. Nous decouvrons avec douleur que le dessoure de nos nez sont ravagés par le vent et le soleil malgré le fait que nous avions l’air de Robocop à chaque jour.
La soirée est fort agréable, nous lisons un peu le livre de bord du refuge et découvrons que la météo de la Wapta est célèbre pour sa véhémence et sa blanchitude, et que plusieurs groupes doivent attendre une fenêtre de beau temps ou même de rebrousser chemin à partir du point ou nous étions, car la prochaine étape est particulièrement abrupte, crevassée, avalancheuse, séraqueuse et pas drôle du tout quand on n’y voit rien. Incroyablement et heureusement, juste pour ces quelques heures le lendemain matin le soleil nous a fait grâce et le vent s’est abattu sur l’autre face du col que nous montions. Halelluja!!!
Il a même fait rose
Bye bye Balfour hut!
on est prêts
…
…
Il va bientôt finir de venter
belle glace bleue à nos pieds
nous étions tous un peu fébriles devant la mission à accomplir, et espérions que le soleil tienne bon pendant le temps que ça nous prendrait. Le paysage qui se déroulait à nos pieds était complètement grandiose, des montagnes à perte de vue pendant qu’on bouffait l’altitude à bouchées doubles
glaciers bleus
plumes de vent dans le soleil
des gros sommets
et le fameux Nunatak (euh oui oui) qui est le nom officiel géologique d’une grosse roche dans un glacier, notre phare principal pour la navigation de ce gros terrain
Sigurd nous mène avec détermination entre les crevasses et les séracs
Les bros s’aiment
nous arrivons nez à nez avec le Balfour Glacier, et nous pouvons voir comment ces crevasses là ont l’air innocentes vues du dessus avec la belle petite couche de neige qui les recouvre
grosse vue, et on voit le refuge comme un petit point turquoise dans le tiers inférieur droit de la photo. Piece of cake! What do we say to the crevasse, little girl? Not today.
évidemment, de l’autre côté du col – BLIZZARD! nous trouvons notre chemin avec les waypoints du GPS tant bien que mal, et essayons de ne pas mourir à la même place que la personne décédée l’année passée dans une crevasse à cet endroit précis, accompagnée de ses deux amis qui n’ont rien pu faire pour lui.
attitude de blizzard
ça a l’air vraiment méchant devant nous
on est supposés avoir le refuge à seulement 2 km devant nous mais nous ne voyons qu’un tas de roches et il faut y trouver Charlie. Nous finissons finalement par l’apercevoir et montons la côte interminable (impossible de bien juger les distances dans ces grandes étendues inconnues) vers la petite cabane enterrée dans un tas de neige.
Nous y trouvons notre bébé adoptif prêt à décongeler
et nous lui apprenons de suite le sport d’hiver
il a l’air content, il fait des bons progrès, et on est fiers
ensuite il est promptement tombé dans un précipice et nous sommes allés nous faire du café
étant donné qu’il n’y avait personne d’autre à ce refuge, la température y était pas très loin de la congélation, ce qui justifiait des accoutrements fort volumineux
La bécosse de Scott Duncan a remporté la palme de la plus meurtrière d’entre tous: le papier de toilette qu’on essayait d’y jeter se faisait souffler immédiatement par des bourrasques glaciales vers le plafond (ou ta face) tel un papillon au printemps.
Gouy tenta de simplement aller dehors mais l’entrée s’enneigeait tellement vite que toute sortie dehors requérait un peu de travail de piolet et de pelle et de claquage de porte. Voici 1) Avant:
et 2) 30 minutes après
Sinon la vue était belle!
Nous avons donc passé le temps tant bien que mal, emmitouflés, à manger diverses choses, regarder le vent (comme d’habitude) et écrire des niaiseries dans le livre de bord.
L’entrée du livre de bord que nous avons écrite était d’abord ben correcte, mais ensuite un certain Vrunkurb Bjornesmor aura laissé une impression plutôt violente sur les futurs lecteurs.
Le lendemain était notre descente, et on est sorti de la porte dans un autre whiteout arctique. Cette fois, on ne voyait même pas à dix mètres et on était encore en terrain crevassé, alors nous nous sommes encordés ne serait ce que pour ne pas nous perdre. J’étais complètement frigorifiée, je pense que j’avais même plus froid qu’au Saguenay ou il faisait apparemment -30C. Vat a great vakation, comme dirait Vrunkurb Bjornesmor.
Vrungkurb a la barbe toute congelée
Encore une fois, lorsqu’on est arrivés au col tout a changé et les cieux se sont ouverts par grand miracle. On a rapidement découvert qu’on en avait grand besoin parce que le terrait était extrêmement exposé aux avalanches et le relief renfermait des petites surprises invisibles comme des gros trous, des falaises et des corniches, qui disparaissaient entièrement de la vue lorsqu’un nuage passait. La lumière était magique, comme à la première journée
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Nous décidons après mûre reflexion la route la moins dangereuse à prendre. C’est celle-ci
autre couple de photos du panorama qui s’offrait à nous en cette période de stress et de gros nuages qui roulaient vers nous
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Gros sommets intimidants! aucun n’a l’air accueillant, ou vraiment possible… les Rocheuses, respect…
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wow
et voila nous sommes descendus vers le lac de l’autre côté! Quel soulagement, quelle joie, quelle sagesse acquise et quelle fraternité additionnelle.
Les montagnes de l’autre côté, comme ce Mordor là, nous regardent avec dédain
et les sapins sont beaux, même si je suis triste de retourner dans les arbres
On débarque à un lodge ou on laisse Gouy surfer l’internet et boire du café gratuit pour aucune raison alors que nous allons faire du pouce pour retrouver notre auto, accomplis.
Récompense 1 – prendre une bière sur la magnifique “terrasse” en garnotte du hostel à Golden en regardant des trucks monter la côte et compter les wagons du Canayen Pacifique
Récompense 2 : PATATES! Nous avons fait le breakfast burrito des dieux, et même la salsa s’est présentée à nous dans l’armoire de la Free Food
Épique.
Magnifique! J’ai pris une semaine de vacances en 45 minutes. Sans les bourrasques de vent, ni le white out. Bon vous pourriez presque faire une contre conférence au coeur des sciences, à côté d’XP Antartik!! En tout cas, ça motive bien à finir ma thèse et pouvoir apprendre le ski télémark et profiter de la viiiiie. On se voit bientôt les amis?
Magnifique et impressionnant! Cela me rappelle un peu notre “Chamonix – Zermatt”, mais en plus sauvage, plus imprévisible, plus vaste…. Les Rocheuses, respect!
Oui Sylvain c’est souvent comparé à la Haute Route en effet! Possiblement avec moins de gens par contre?
Wow!
Very impressive!
Merci beaucoup pour ton récit. C’est très bien raconté et ça donne le goût d’aller faire une excursion avec vous. Les photos sont incroyables. J’attendrai votre prochaine aventure avec impatience!